L’épine
fleurie.
Il
n’y a pas très longtemps, même pas six mille ans, pas très loin d’ici, un homme
s’était installé au bord de la rivière. Il s’appelait Pouscaillou. Il faisait
partie de ces peuple qui vivaient dans nos contrées bien avant les invasions
des barbares celtes, puis romains. C’étaient des gens paisibles, , trapus,
petits, peu nombreux dans un immense territoire vierge. On sait peu de choses
de leur culture, sinon qu’ils ont construit les mégalithes que l’on retrouve un
peu partout.
Pouscaillou
vivait donc au néolithique, bien tranquille, au bord de la rivière, dans un
abri taillé dans un roncier. C’était auparavant le gîte d’une famille de
sangliers, mais après les avoir mangés, il s’était approprié les lieux et les
avait aménagés à sa guise, en
entrelaçant la ronce et l’aubépine sur les tiges dures de l’épine noire. Les
plantes, solidement ancrées au sol, avaient accepté de pousser suivant les
directives de leur habitant et continuaient à croître, lançant d’années en années
de nouvelles fleurs et de nouvelles épines, chaque espèce à son tour. De loin,
sa hutte ressemblait à un hérisson, de près, on se griffait partout, mais à
l’intérieur, elle était relativement confortable et pas un loup n’aurait osé
s ‘en approcher.
Pouscaillou
vivait de chasse, de pêche, et de ses pierres. C’était le roi de la pierre
taillée et le maître de la pierre polie. A l’automne, il partait au loin vers
les zones de passage, au confluent des grandes rivières, et ramenait de lourds
stocks de silex, de calcédoine, d’obsidienne, d’aventurine ou de quartz.
Pendant l’hiver et le printemps, il en faisait des merveilles de haches,
couteaux, hachoirs, grattoirs et pointes de flèches. Avec l’infinie patience
des sages, il frappait la pierre d’un percuteur en bois de cerf, et, éclat par
éclat, dégageait l’outil de ses rêves. Il polissait ensuite longuement ses
œuvres pour les rendre tranchantes et agréables à manier. Pouscaillou vivait
seul et ne parlait qu’à ses pierres. Il voyait en elle une forme de vie étrange
et amicale et les traitait avec respect, s’excusant pour le moindre coup porté
parfois maladroitement. Les pierres, dociles, acceptaient les chocs sans se
plaindre et lui étaient reconnaissantes de ses soins. Le moindre silex était
ravi d’être débarrassé de sa gangue de calcaire et rutilait de plaisir devant
le foyer.
Les
hommes étaient peu nombreux sur terre, les villages rares, et l’on pouvait
marcher des jours sans voir la moindre trace d’habitation. Les maisons étaient
faites de boue séchée et d’un toit de branchages sur une assise de pierres et
les plus pauvres de ces demeures avait des airs de palaces en comparaison du
terrier de Pouscaillou.
Le
chemin de la rivière était assez fréquenté et les gens se moquaient du pauvre
artisan dans son trou à sanglier, malgré tout le respect qu’ils avaient pour
son art.
Cela
ne le gênait pas trop, mais quand une jolie fille éclatait de rire devant sa
maison, il avait un petit pincement au cœur. Il avait même du chagrin quand
c’était Colinette qui se moquait de lui. Elle vivait avec sa famille loin dans
les collines et venait souvent ramasser des baies avec ses sœurs.
Il
y eut un hiver et un début de printemps rigoureux et les bourgeons ne se
décidaient pas à éclore. Le temps semblait figé et les météorologues
interrogeaient anxieusement les mégalithes sur le retour du soleil.
Les
pierres ont peut être eu envie de se réchauffer elles aussi, toujours est-il
que le soleil revint brusquement. Les plantes impatientes, sans respect de
l’ordre des éclosions, se mirent à fleurir toutes en même temps et en quelque
jours, le roncier de Pouscaillou se transforma en un merveilleux bouquet.
L’épine noire, la mure et l’aubépine mêlant leur parure ne formaient plus
qu’une seule fleur magique.
En
passant devant le roncier ce jour là, Colinette ne rit pas. Fascinée, elle
traversa la rivière et alla saluer Pouscaillou. Tout timide, il lui fit visiter
la maison. Les murs de verdure épais, frais l’été et chaud l’hiver, la
splendide collection d’instruments de cuisine conquirent la petite et elle
s’installa.
Pour
amuser ses enfants, Pouscaillou fabriqua dans des éclats colorés de tout petits
outils délicatement polis. Un jour Colinette récupéra une miniature rose dont
son homme ne voulait pas car la pierre était gâchée par une légère inclusion de
terre. Elle élargit le trou, y passa une fine lanière de cuir et inventa le
premier bijou.
Que
dire encore ? Pouscaillou offrit un lot d’outils aux parents de Colinette,
on en trouve encore parfois en labourant les champs. De petites huttes de
ronces fleurirent à côté de leur maison, des voisins s’installèrent, un village
prit racine.
Pendant
trois mille ans, chaque année, en souvenir, le village a fêté l’épine fleurie
du printemps.
Bien
sur, depuis, les huttes de ronce ont disparu, remplacées par le bois, puis la
pierre, le béton mais le village a toujours gardé son nom, Epine Fleurie. C’est
comme ça…
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